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Poésie et Conte

« Douce, douce est la forme de mon cher Seigneur,
Plus doux encore Son visage angélique,
Mais Son grâcieux sourire au parfum de miel,
Est d'une douceur plus exquise encore. »

 - Bilvamangala

La Poésie indienne

Un des innombrables noms de Krishna est Uttamashloka : « Celui que l'on glorifie à l 'aide de mots choisis et poétiques ». Ainsi les Écritures comparent-elles le teint de Krishna à un sombre nuage de pluie, Ses yeux à des lotus, et les ongles brillants de Ses pieds aux lunes rafraîchissantes d'automne. « Sans poésie et sans réalisation spirituelle, disait Shri Chaitanya, il serait impossible de décrire les sujets spirituels. »

 

On trouvera des exemples de profondeur poétique spirituelle dans les vers de Jayadeva, poète mystique du XIIe siècle. Sa Gita-givinda est riche de révélations intimes et d'effusions vibrantes d'amour pour Radha et Krishna. Mirabaï, poètesse de la bhakti du XVIe siècle, chante les louanges de Krishna avec un amour et une ferveur spirituelle intenses. Parmi les autres poètes vaishnavas notoires, citons Andal et Nammalvar (aux Ixe et Xe siècle respectivement), Bilvamangala (Xie siècle), Chandidas (XIVe siècle), Surdas, Rupa Goswami, Kavi Karnapura (XVIe siècle) et Narottam das Thakur (XVIIe siècle).

Bien que la plupart des poètes cités ici aient écrit en langues régionales comme le Braj-bhasha ou le bengali, ils ont tous utilisé les règles de la poésie sanskrite classique (Kavya), accédant ainsi à une riche variété de procédés littéraires, que ce soit des allitérations (anupras), des rimes (antanupras), des métaphores, des comparaisons ou des ambiguïtés, toutes centrées sur Krishna.

La plus ancienne poésie vaishnava, comme celle qui remplit les pages du Shrimad Bhagavad-vatam, est écrite en sanskrit. La littérature sanskrite a plus tard donné naissance à un style poétique particulier appelé stotra (mot dérivé de la racine verbale stu, qui veut dire « louer, glorifier, faire l'éloge de, exalter, célébrer par un chant ou un hymne »). Le stotra, ainsi que plusieurs autres genres littéraires tels que le champu (un mélange de vers et de proses), sont désormais des moyens établis pour transmettre la poésie de l'amour dévotionnel en Inde. Peu importe le langage ou le style de présentation, la poésie vaishnava conduit à une conclusion on ne peut mieux exprimée par un poète krishnaïte inconnu des temps anciens : « Ô Krishna, san Toi tout est ténèbre ! ».

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LA THÉOLOGIE DU RASA

La poétique de la relation sacrée

Un élément clé de la poésie vaishnava réside dans le concept du rasa. Bien que de subtiles nuances différencient la façon de définir ce terme, dans les sciences naturelles (par ex. l'Ayurvéda), la poétique et la théologie, on lui prête généralement le sens de « goût » ou « saveur ». Par extension, il peut aussi signifier « sentiment ou émotion intense » ou bien « ravissement esthétique ».

Une des premières mentions du terme rasa apparaît dans la Taittiriya Upanishad : raso vai sah - « Dans l'expérience esthétique spirituelle s'incarne l'ultime réalité. » Pour explorer la signification de cette citation relativement aux arts poétiques ou dramatiques, il faut considéré une première forme de la théorie du rasa présentée dans le Natya-shastra de Bharata Muni. Cette théorie se fondait sur une prémisse simple : si une émotion surgit dans un environnement spécifique, provoquant certains gestes et réactions, le fait de recréer dans le théâtre cet environnement et d'imiter ces gestes et ces réactions reproduit alors une émotion semblable chez le spectateur sensible et cultivé aussi bien que chez l'acteur. Un tel spectateur est qualifié de rasika, car il peut goûter la véritable saveur, ou émotion, d'une représentation dramatique.

Au Ixe siècle, Anandavardhana pousait plus loin l'idée de Bharata en l'appliquant à la poésie et à toute expérience esthétique. Au Xie siècle, Abhinavagupta élargissait encore les concepts des esthéticiens antérieurs et établissait le lien important entre l'expérience esthétique et la transformation religieuse. Au même siècle, Bhoja allait encore plus loin en souligant la prééminence du madhurya-rasa, ou sentiment d'amour conjugal. Dès le XIIe siècle, des compositions comme la Gita-govinda de Jayadeva faisaient leur apparition et employaient la méthodologie et la terminologie de la théorie et de la poétique esthétiques.

Les six Goswamis de Vrindavan (XVIe siècle) reconnaissaient la terminologie et les catégories de la théorie du rasa comme étant idéales pour exprimer les découvertes et les réalisations de la réalité divine qui seraient difficiles à traduire autrement. Grâce à Rupa Goswami surtout, la théorie du rasa a atteint de nouveaux sommets. Dans l'optique de Rupa, le spectateur rasika cultivé est remplacé par le rasika bhakta, le dévot de Krishna situé à un haut niveau d'élévation spirituelle, et le divertissement dans lequel il s'absorbe est l'éternel divertissement de la krishna-lila et non quelque drame fictif de conception humaine. L'amour pour Krishna (krishna-rati) doit être compris comme le sentiment dominant (sthayi-bhava) de la dévotion, sentiment qui constitue une relation permanente plutôt que des émotions passagères comme celles suscitées par un spectacle profane. À part cette importante différence, il existe une grande similarité entre la façon dont opère le rasa de l'amour pour Krishna et les mécanisme de la théorie esthétique : il est dit que le rasa s'éveille par une série complexe de stimulants (vibhavas), de manifestations (anubhavas) et de sentiments complémentaires appropriés (vyabhichari-bhavas). Quand le rasa de la krishna-bhakti  est éveillé comme il se doit, toutefois, il touche ceux et celles qui le vivent d'une manière qu'aucun spectacle ordinaire ne pourrait le faire. Des manifestations physiologiques de l'extase dévotionnelle (sattvika-bhavas), comme les larmes et le hérissement des poils apparaissent alors transformant ces dévots en amoureux de Dieu.